C’est avec une certaine nostalgie que je vais m’efforcer de présenter l’auteur des œuvres contenues dans ce volume (Ndlr : catalogues de gravures et d’aquarelles). Car Jacques fut pour moi un ami précieux, compagnon d’une partie de ma jeunesse et participant d’un cercle familial et culturel qui m’a laissé des souvenirs très attachants.
Sa famille était de Lyon, d’où son père, formé très jeune aux techniques de l’imprimerie, avait été, après avoir servi à l’état-major du Maréchal Lyautey de 1911 à 1918, détaché à Paris pour y établir la représentation d’une grande imprimerie lyonnaise.
D’un milieu aisé et cultivé, Jacques manifesta très tôt une évidente vocation pour les arts graphiques, doublée d’une grande ouverture d’esprit et d’une intense curiosité envers le monde extérieur. Il dessinait et peignait souvent au cours de ses études classiques et de ses randonnées, tant comme scout que pendant son service militaire, qu’il accomplit en Autriche dans les chasseurs alpins. Il aimait la nature et se montrait bon sportif. Excellent camarade, il se fit là des amis pour toute sa vie. Entré à l’Ecole Nationale des Beaux-Arts, il se tourna vers la gravure, qui devint sa spécialité. Premier Second Grand Prix au concours de Rome, il fut invité à résider à la Casa de Velazquez, fondation française publique à Madrid.
Ce séjour d’études dans la capitale espagnole allait influencer fortement sa carrière et sa personnalité. Si Jacques appréciait, en effet, en connaisseur, les teintes veloutées des paysages peints par les peintres italiens, il fut beaucoup plus sensible aux rudes contrastes espagnols, avec leurs dessins nets et leurs couleurs abruptes. Son burin se plut à multiplier des traits profonds et sombres. Son pinceau délaissa quelque peu les huiles nuancées au profit des aquarelles aux tons vifs, éclatants de chaleur. C’est là qu’il forgea les caractères essentiels de son œuvre, enrichis par des voyages d’où il rapportait toujours des productions multiples : en Espagne même, à Paris et dans les régions françaises — surtout la Provence — à Amsterdam, à Londres, en Norvège où résidait une de ses sœurs aînées. Et finalement, dans la Flandre française, où il s’était vu confier, au début des années soixante, la création des ateliers de dessin et de gravure à l’Ecole des Beaux-Arts de Tourcoing. C’est là qu’il mourut prématurément, en mai 1968, d’une rupture d’anévrisme, à l’âge de 40 ans.
Cette disparition soudaine affecta d’autant plus ses confrères et ses amis que sa personnalité était très attachante. Il était, on l’a dit, d’esprit ouvert et curieux. Il ne se cantonnait pas dans les milieux d’artistes; il se liait aussi bien avec des journalistes, des ensei- gnants, des employés. En Espagne, où les contacts sont plus familiers, il fréquentait les petits cafés autour des arènes et nouait conversation, tout en dessinant, avec le menu personnel des corridas : garçons d’écurie, picadors, banderilleros. Il aimait dessiner également dans les cafés à musique où les guitaristes accompagnent les danses : jotas, fandangos, séguedilles. Ceci principalement à Madrid et en Andalousie; en Castille, il parcourait à vélo ou à moto la «meseta», steppe aride et poussiéreuse aux horizons immenses, au soleil implacable, avec ses rudes paysans tout d’une pièce, pauvres mais d’une hospitalité cordiale et pleine de noblesse. Jacques était profondément sensible à ces contrastes tranchés des paysages et des âmes d’Espagne. Cette sensibilité s’exprime dans son œuvre, qui met en scène, d’un trait sûr et dur, Don Quichotte et Sancho, des cavaliers altiers, des danseuses exaltées.
Mais la sensibilité de Jacques avait un autre visage, surtout hors d’Espagne. Il a peint des nus d’un réalisme épuré, mais aussi d’aimables portraits de femmes et d’amis. Il campait d’un trait ferme les chevaux de selle andalous, mais aussi les robustes chevaux de labour flamands. Et dans les paysages des plaines nordiques, aux grands arbres noirs dépouillés par le vent de la mer, il conservait la sobriété sévère de ses productions espagnoles : car il était sobre, au physique comme au figuré ; ce qui n’entravait nullement son expansivité, non dénuée d’une certaine tendresse, visible quand il peignait le calme tranquille des Béguinages.
Telles furent la personnalité et l’œuvre de Jacques Reverchon, trop tôt disparu ; il avait eu le temps cependant de laisser un sou- venir ému au cœur de ses amis et un regret attristé chez ses admirateurs.
Georges Peyronnet
Maître de Conférence Honoraire d’Histoire Médiévale
Ancien professeur à l’Institut Français de Florence
Ancien Pensionnaire de la Casa de Velàzquez